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1% du PIB, pour faire quoi ?


Le programme du NFP affiche comme premier point de son volet culturel : 1% du PIB pour la Culture. Ce chiffre est en fait inspiré directement des programmes culturels du PCF et de LFI. Cependant, les représentants du NFP restent très peu diserts sur le comment et le pourquoi de ce 1% du PIB. Son périmètre est lui-même flou. S’agit-il de financer exclusivement le ministère de la culture – aujourd’hui encore restreint à 0,8% des dépenses de l’état – ou de réclamer le 1% du PIB pour l’ensemble des dépenses publiques, collectivités territoriales comprises ? Évidemment ce manque de précisions avait permis à l’éditorialiste culturel du journal Le Monde, Michel Guérin, politiquement très centre-droit, de moquer l’irresponsabilité financière de cette proposition programmatique du NFP à l’occasion des législatives provoquées par la dissolution. Le manque d’explications claires de la part du NFP prêtait facilement le flanc à la critique. Il est donc nécessaire de préciser cette question tant dans ces aspects budgétaires que politiques. Sinon, cette revendication de 1% du PIB semblera toujours démagogique et… peu sérieuse quant à l’intérêt réel pour la vie artistique et culturelle. Cela est d’autant plus dommageable puisque le travail artistique occupe aujourd’hui une fonction spécifique et renouvelée dont il faut comprendre la portée. Par ricochet, une question se pose : comment sommes-nous passés de la revendication de 1% du budget de l’état à celle de 1% du PIB ?

I. Audacieux 1% du PIB !

Cette proposition représenterait à ce jour un budget culturel de 26 milliards €. Comparés aux 4,4 milliards € du budget 2023 du ministère de la culture, il s’agit tout simplement d’une multiplication par 6. Énorme.

Réalités actuelles des dépenses culturelles de l’état :

Précisons, il est devenu une habitude de la part des ministres de la culture de gonfler les dépenses culturelles de l’état en lui ajoutant celles d’autres ministères qui dépenseraient 5 milliards€ pour la culture dans leur ensemble (budget 2023). Coup de communication cache misère, ces 5 milliards « culturels » représentent 2, 9 milliards de salaires Éducation Nationale (professeurs d’arts 1ER et 2ème cycle, agents des archives et patrimoines E.N., délégués académiques à l’action culturelle), 620 millions correspondant au budget des Bibliothèques universitaires, 447 millions du ministère des Affaires Étrangères pour les établissements d’enseignement français à l’étranger…etc… Le Musée des armées, le musée de l’aviation du Bourget (ministère de la défense) …et blablabla…

Pour estimer réellement le financement de la culture par l’État, il faut s’en tenir aux 4,4 milliards du ministère de la culture. Ce budget représente les dépenses du Patrimoine (1,1Mds), les 80 établissements nationaux (1,5Mds), la mission Presse et Industrie culturelle (700Ms), le Pass Culture… alors reste le 1milliard €- en fait un peu moins – pour financer le cœur de la création artistique (ensembles musicaux, cies théâtrales, cies chorégraphiques, cirques, CDNs, scènes nationales, théâtres conventionnés, scènes de musiques actuelles, centre de recherches musicales, centre de recherches chorégraphiques, festivals, théâtre de rue…) C’est peu.

Prenons un exemple : 413 ensembles musicaux sont soutenus par le ministère pour une somme globale de 19 millions €. Seuls 6 ensembles reçoivent 350.000 euros leur permettant de monter des productions. Les autres reçoivent une moyenne de 40 000 €. La majorité est en dessous de cette somme. Recevoir plus, par exemple 70 000 €, oblige, dans le cadre d’une convention tri annuelle, d’embaucher un administrateur ou producteur délégué en CDI. Ainsi l’essentiel de la subvention part dans un emploi fixe non artistique laissant des clopinettes pour la production artistique.

En réalité, si nous comparions, à périmètre identique, les budgets du ministère selon les années, on pourrait constater que la part actuelle de l’état consacrée à la culture approcherait celle de 1974… on comprend mieux alors pourquoi les artistes subissent autant de précarité sociale et professionnelle… un comble, car depuis le milieu des années 1970, l’instauration des financements croisés entre collectivités territoriales et État a permis le développement considérable d’institutions culturelles sur le territoire.

Estimer les dépenses des collectivités territoriales :

    Reste alors à prendre en compte la réalité des financements des collectivités territoriales. Une étude récente du DEPS du ministère de la culture à partir des données transmises par Bercy montre qu’en 2023 les collectivités territoriales ont dépensé 7,8 milliards € pour la culture en fonctionnement et 2 milliards € en investissement. Les communes consacreraient en moyenne 7 ,3% de leurs dépenses à la Culture. À y regarder de près, on constate que la ligne dépense Patrimoine/Bibliothèque/Musée pour l’ensemble des collectivités territoriales est la plus importante : 32%. Une ligne « Autre » non définie représente 18%.

    Pour repérer les lignes de dépenses consacrées à la création artistique, il faut regrouper les 5% consacrés au théâtre, une partie des 12% de la musique et la danse comprenant aussi les écoles de musique, et une part des 23% consacrée à l’Action culturelle. Le flou de ses données ne nous permet pas d’en dire plus. Cependant il est facile d’en déduire que la création artistique n’est pas l’objet central du financement culturel des collectivités territoriales.

    Mais soit, si l’on considère les 9,8 Mds des collectivités territoriales et les 4,4 Mds de l’état, nous arrivons à une somme de 14,2 Mds de dépenses culturelles. Nous pouvons en déduire que la proposition de 1% du Pib pour la culture amènerait au moins un doublement des dépenses culturelles en France. Il est clair que ces nouveaux financements devraient avoir pour objectif d’accroître le soutien aux artistes.

    Du 1% de l’État à 1% du PIB :

      Mais d’abord, il faut savoir comment le 1% du PIB a remplacé la revendication du 1% du budget de l’État. Créé en 1959, le ministère de la culture était sous financé en raison d’une opposition ferme du ministre du budget Giscard d’Estaing qui disposait d’un poids politique important dans le gouvernement. Il montra d’ailleurs son rejet de financements publics pour la vie artistique lors de son septennat. C’est en mai 1969 qu’est créé « le comité de liaison pour le 1% » regroupant d’importantes associations culturelles nationales, notamment d’éducation populaire. Jack Ralite, représentant la FNCC, y joua un rôle des plus actif. Inutile de dire que le PCF devenait ainsi le principal porteur dans le champ politique d’une revendication dynamique dans la société française.

      Ne faisant pas partie des 110 propositions du candidat Mitterrand, le 1% de l’État ne fut atteint que deux fois, lors du vote du budget 1993, mais annulé pour cause d’alternance politique par un gel budgétaire et en 1995 par rajout de la direction de l’Architecture rapatriée du ministère de l’équipement. En 2017, un fantomatique 1% fut atteint par normes comptables douteuses comme l’établissement d’une part du ministère de la culture au remboursement de la dette.

      La revendication de 1% du PIB a curieusement des origines plus anciennes. C’est en décembre 1964, lors du « colloque de Bourges » – une institution emblématique « Maison de la culture » venait d’y être lancée – Jacques Delors – haut fonctionnaire au commissariat au plan – certainement conscient des difficultés de financement rencontrées par Malraux, avançait l’idée de fonder les financements culturels publics sur une part du PIB.

      Cette idée rapidement oubliée resurgit à la fin des années 1990 sous la gauche plurielle. Ainsi, lors d’une réunion de la commission culture du PCF étaient présents des personnalités de la mouvance PS. Un haut fonctionnaire (ex cabinet de Jack Lang) avançait l’idée d’un financement de la culture basée sur le 1% du PIB (État et collectivité territoriale) en raison des nouveaux besoins culturels. L’idée fut reprise par la suite dans les programmes électoraux du PCF sans être véritablement approfondie. Aujourd’hui reprise mécaniquement par le NFP, elle n’est pas plus travaillée dans sa réelle dimension politique. Pourtant le travail artistique et culturel est aujourd’hui au cœur d’une contradiction nouvelle et importante du capitalisme à laquelle il faut répondre.

      Le travail artistique ou comment sortir de la logique de l’entonnoir

      Il y a aujourd’hui nécessité à aborder la question du financement public de la culture sous trois angles : une compréhension de l’aspect sociétal, un aspect politique : place de l’art dans un projet alternatif au capitalisme, la lutte politique dépendant de ces deux points précédents.

      Travail artistique et société :

        Les chiffres parlent d’eux même. Une étude récente du Ministère de la Culture (DEPS) concernant la place du travail artistique dans la société sur 25 ans entre 1995 et 2019 montre un accroissement du nombre d’artistes et d’emplois culturels dans la société de l’ordre de 70% (de 389 300 personnes à 661 000) alors que dans le même temps la population active est passée de 22,3 millions à 26,5 ; soit une augmentation de 19%. Les professions culturelles représentent 2,5% des actifs.

        Accroissement de 106% du nombre de plasticiens, de 99% des artistes du spectacle vivant, 190% des artistes des arts graphiques, design et arts déco, 100% des architectes. Voilà quelques exemples de ce mouvement dynamique. Pourtant ces chiffres sont établis à partir des normes Insee qui atténuent la photographie réelle de cet impact sociétal. Pour prendre l’exemple de la musique, nous savons qu’il y avait 13 000 musiciens professionnels dans les années 30 (cf Mathieu Grégoire « les intermittents du spectacle, un siècle de lutte »), aujourd’hui les statistiques Audiens, la mutuelle des professionnels de la culture, montrent, à partir des chiffres de cotisations retraite AGIRC-ARCO, que nous comptons 67 000 musiciens professionnels en France. Une multiplication par 5 alors que la population française n’a pas doublé depuis les années 1930. Il y a donc une modification importante de la place du travail artistique dans la société. Il faut en comprendre le pourquoi.

        Plusieurs explications contradictoires sont à prendre en compte et méritent approfondissement. Il est clair que la part croissante du travail intellectuel dans la société favorise cet intérêt ascensionnel pour les formes et artefacts symboliques produits par le travail artistique. À cela, nous devons ajouter le désir d’échapper aux formes du travail contraint du salariat habituel. Ce refus artistique présente une proposition de travail beaucoup plus prometteur de la réalisation de soi. Mais à quel prix ! La réponse de la société capitaliste est d’instaurer le marché capitaliste comme régulateur de cette aspiration, réinstallant la contrainte vigoureuse de la rentabilité économique. Et celle du formatage des imaginaires par l’industrie du capitalisme médiatique qui est un des éléments les plus développés du capitalisme contemporain renforcé considérablement par le pouvoir de contrôle des GAFAM.

        Des chercheurs et théoriciens montrent que le capitalisme a besoin d’utiliser une partie du travail artistique pour développer des formes attrayantes et toujours renouvelées de la marchandise (Frederic Jameson – USA), comme l’industrie du tourisme ou du luxe (Luc Boltansky, Arnaud Pesquelle –France), mais – ce qui est très inquiétant – des formes spectaculaires de la manipulation des signes (blockbusters, Hits de variétés…) allant jusqu’à la possible destruction du langage par le développement des plateformes de streaming culturel et leurs normes astreignantes (Ted Gioia – USA).

        (Il est urgent que notre groupe de travail approfondisse le fonctionnement des institutions de la marchandisation culturelle)

        Mais en intégrant de cette façon l’art, le capitalisme ne fait qu’attiser la contradiction que porte le travail artistique : le besoin d’imaginaire et donc…d’art. D’où la nécessité d’une conception du financement public de l’art qui favorise l’autonomie du travail des artistes1. Nous vivons aujourd’hui ce qu’avait expliqué Adorno dans « Théorie esthétique » : l’existence nécessaire d’un art autonome vivant en dehors de toute dépendance hétéronome au marché. C’est donc le contour nouveau d’un champ de la lutte politique qui se dessine autour de la question artistique, une lutte contre certaines formes actuelles de l’aliénation. Le combat que mène ouvertement la droite contre le financement public de la culture – comme le montrent les décisions de la Région Auvergne-Rhône-Alpes en 2023, puis Pays de la Loire en 2024 – sont la conséquence directe du discours malthusien apparu en 2003 à l’occasion de la grève des intermittents : « Il y a trop d’artistes ». Les conservateurs et ultra-libéraux pensent qu’il faut soumettre la vie artistique à la régulation du marché. Les institutions capitalistes de la marchandisation culturelle vont à l’encontre du besoin croissant d’art et de sa diversité qui s’exprime confusément dans la société, forment une espèce d’entonnoir hyper sélectif qui élimine massivement ce trop-plein d’artistes. Face à cela : Que faire ?

        Quelques axes pour élaborer une réponse politique

        Tout d’abord, le contrôle exercé par les médias sur l’espace public et l’imaginaire collectif ne doit pas nous impressionner. Ce fonctionnement a pour but de concentrer l’intérêt sur quelques « stars » et produits culturels. Ce processus a réellement commencé en France dans les années 1950 à l’orée de l’apparition de la société de consommation pour se perfectionner petit à petit et atteindre une cohérence forte de nos jours. Toutefois, un nombre très important d’artistes reste très attaché au sens réel du travail artistique, au prix de sacrifices personnels difficiles. C’est vers eux que nous devons nous tourner. Les luttes autour de la question de l’intermittence montrent que ce travail artistique devient une part du salariat contemporain. Cet attachement d’un nombre d’artistes à leur travail concret révèle une capacité de résistance significative. Il faut que les forces de transformations sociales en saisissent toute la portée.

        Et donc revoir leur positionnement jusqu’ici insuffisant. Il est devenu pénible de constater qu’à l’occasion des différentes élections, les programmes électoraux des partis politiques se sont désintéressés de la question culturelle. Rien à voir avec la place qu’occupait la culture dans les débats politiques, il y a 40 ou 50 ans. À gauche, l’intérêt s’est réduit aussi, devenu de pure forme, comme des souvenirs de plus en plus flous d’agapes terminées depuis longtemps. Et ce à un moment où le travail artistique prenait une ampleur inégalée dans la société. Cherchez l’erreur !

        Il faut que les forces politiques anti capitalistes comprennent l’importance du travail artistique pour l’émancipation humaine. En cela, elle renouvellerait une tradition historique datant de Jaurès en passant par le front populaire et la Libération, la collaboration du Parti Communiste Français avec des artistes fondamentaux. Mais dans un nouveau contexte qui comporte au moins deux axes d’approche.

        Premièrement, on ne voit pas aujourd’hui de la part des forces anti capitalistes l’élaboration affinée d’un projet d’émancipation alternatif au capitalisme incluant, par exemple, le rôle des salariés comme responsables de la production (autogestion). Nous avons pourtant besoin d’une conception sociétale émancipatrice globale. C’est dans le cadre d’un tel projet que se situe le rôle émancipateur de l’art qui est développement des potentialités expressives et langagières de l’être humain (sur cette question, il est nécessaire d’avoir un travail approfondi de notre groupe sur le travail artistique). À cela, il faut ajouter un deuxième volet. L’art peut devenir une alternative à l’enfermement mental produit par la société de consommation et son productivisme irrationnel. Jean Baudrillard, dès 1970 (« la société de consommation »), avait souligné les méfaits culturels de cette consommation effrénée d’objets souvent inutiles mais signes d’ascension sociale individualiste. Un système des objets frustrant et infini projetant l’individu dans une course effrénée vers l’accumulation matérielle. Nous sommes aujourd’hui au point terminal de cette logique sans sobriété et désastreuse écologiquement, porteuse de compétitivité funeste entre tous et d’inégalité sociale aggravée. L’art et la culture – avec l’éducation populaire – sont des outils considérables pour porter un autre rapport de la subjectivité individuelle au monde fondé sur la connaissance, le sensible et le plaisir esthétique. Il s’agit ici réellement d’émancipation ; une affirmation et plénitude de soi qui ne soit pas construite contre les autres. Rien à voir avec le divertissement de la marchandise culturelle comparse indispensable du travail aliéné.

        C’est pour tout cela que la revendication de 1% du PIB pour la culture peut se justifier. Elle nécessite la définition d’un projet de dépassement du capitalisme. Et en ce sens, le projet de Sécurité sociale de la culture porté par Réseau Salariat (voir le livre sorti aux éditions du croquant en octobre 2024) doit mériter toute l’attention car il propose en fait d’inscrire l’art et la culture comme un droit social pour tous en s’inspirant du fonctionnement économique et démocratique de la Sécurité sociale de la santé inventé par Ambroise Croizat. L’urgence de la situation nécessite une riposte politique fortement élaborée. À travers la question culturelle et artistique se pose la réponse à la crise du sens de notre société contemporaine. Cela rappelle

        la remarque que faisait Jean Vilar, très impliqué dans « le comité du 1% », réflexion toujours d’actualité : « … (la campagne du 1%) est seulement un chiffre. C’est aussi imprécis du point de vue idéologique que peut être un chiffre »2.Sortons donc du simple affichage d’un chiffre en campagne électorale. Les partis anti capitalistes – dont les communistes – se doivent de donner toute son importance au travail artistique dans leur combat politique. Ne laissons pas le capitalisme et ses représentants politiques décider de tout et abîmer le potentiel d’utopie que portent, pour une bonne part, l’art et ses œuvriers.

        Et surtout ne jamais oublier que toute proposition programmatique du NFP n’a de sens et possibilité de réussite qu’à la condition qu’elle s’inscrive dans le cadre d’un projet de société plus global d’émancipation où l’art occupe toute sa place. N’oublions pas que seul un projet de société peut créer et mobiliser le désir de sortie du capitalisme.

        Fabien Barontini
        Janvier 2025

        1 Dans son ouvrage « Les règles de l’art », Pierre Bourdieu explique qu’au XIXème siècle les artistes, ayant gagné leur liberté par rapport au statut de domestique qu’ils occupaient sous l’ancien régime, ont dû rapidement trouver des stratégies pour affirmer leur autonomie relative par rapport à la pression du marché – des éditeurs de presse notamment mais pas que – en créant les conditions d’une maîtrise de leur travail concret. Bourdieu rappelle qu’une part de ces artistes imposait leur travail dans le marché sans répondre à une demande du marché. Évidemment, de nos jours, la puissance d’intervention des médias audiovisuels et des algorithmes liés aux plateformes culturelles dans le contrôle de l’espace public a corsé le problème et nécessite donc une réponse politique globale (ndlr).

        2 « Conversation entre Jean Vilar et Jack Ralite » La Nouvelle Critique, spécial Avignon. 1970. P.11

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