Cher Fabien, cher camarade,
Ces derniers jours, j’ai été interpelé par de nombreux.ses Ivryen·ne·s suite aux propos que tu as tenus sur Cnews, plus tôt dans la semaine.
D’ailleurs, des camarades se sont déjà exprimé·e.s sur ce sujet, à titre individuel ou collectif (je pense notamment à « Alternative Communiste » dans le second cas). Si je me permets une expression publique et non au sein du Parti, c’est que tes propos, tenus en direct et à une heure de grande écoute, ont suscité à Ivry des réactions bien au-delà de nos rangs.
Au préalable, je souhaite te dire que mon propos ne porte pas sur tel ou tel extrait, entrevu sur les réseaux sociaux : j’ai pris connaissance de la totalité de ton interview, et notamment les quelques moments où tu tentes de reprendre la main, en tentant de mettre en avant une grille de lecture relative à la lutte des classes.
Il n’empêche : les 20 minutes d’échanges auront successivement permis à Laurence Ferrari de relativiser l’antisémitisme de l’extrême-droite en mettant en accusation la gauche (un acte scandaleux de révisionnisme à l’échelle de toute l’histoire du XXème siècle de notre pays), de chercher à diviser le NFP, en calomniant la France insoumise notamment, et de tirer un trait d’union entre antisémitisme et musulman·e·s de notre pays.
En toute fin d’entretien, elle pousse même l’avantage jusqu’à faire la promotion d’une proposition de loi de la droite sénatoriale qui vise, sous couvert de « laïcité », à se substituer aux décisions des fédérations pour exclure les femmes portant le voile de toute pratique sportive – texte qui prétend d’ailleurs rendre illégale toute mise à disposition temporaire d’un équipement public à des fins cultuelles, comme nous nous apprêtons à le faire dimanche au stade Clerville, pour permettre aux musulman·e·s d’Ivry de célébrer l’Aïd dans des conditions dignes.
En bref, ces 20 minutes d’entretien, et malgré tes tentatives, auront largement bénéficié à l’agenda politique et médiatique de l’extrême-droite. Mais pouvait-il en être autrement sur Cnews, vaisseau amiral de l’empire de presse, de l’édition et de l’audiovisuel du milliardaire Bolloré ?
Au milieu de ce jeu de questions-réponses difficile, tu réponds à une relance de la journaliste, sur le ton de l’évidence, que « bien sûr, le racisme anti-blanc existe », plaçant cette notion à égalité avec les discriminations subies quotidiennement par des millions de personnes racisé·e·s dans notre pays.
Fabien, voilà 10 ans que le Parti, et bien sûr les Ivryen·ne·s, m’ont confié le mandat de maire. J’ai tenu des centaines de rencontres publiques, reçu des milliers de sollicitation individuelles, souvent relatives à des situations de détresse.
Jamais une personne ne m’a dit s’être vue refuser un emploi, car blanche. Jamais une personne ne m’a fait part de ses difficultés à signer un bail locatif, car blanche. Jamais une personne ne m’a décrit avoir été davantage contrôlée, arrêtée, fouillée, surveillée que ses proches, car blanche.
Aucun·e Ivryen·ne ne m’a jamais fait part de ce type de problème, parce que le racisme est une discrimination structurelle, elle-même le fruit d’un rapport de domination duquel participe le capitalisme. Le racisme est un fait social qui transcende les individus, pas une insulte mentionnée dans un fait divers ou un dépôt de plainte.
Dans notre société, le « racisme anti-blanc » ne peut pas exister. Il s’agit d’un contre-feu de l’extrême-droite, popularisé il y a des décennies par Jean-Marie Le Pen, qui ouvre la voie à une division ethnique de notre société. Le fantasme du « racisme anti-blanc » n’a de sens que pour mieux opposer « français de souche » et « français de papier », « la culture européenne » face au « grand remplacement », etc.
Comment peux-tu, par ton acquiescement, donner le moindre crédit à cette vision du monde ?
Le dépit, ou la révolte, dont me font part de nombreux·nses Ivryen·ne·s ces derniers jours n’est pas une affaire de « ligne du Parti » ou « d’orientation de congrès », sur lesquelles nous pouvons être par ailleurs en désaccord : par tes mots, dans le contexte dans lequel ils ont été prononcés, tu renies tout le corpus intellectuel qui anime notre Parti, tu tournes le dos à des décennies de combats menés par les communistes et par toutes celles et ceux qui marchent avec nous.
En 2025, cela fait un siècle qu’Ivry est dirigée par un maire communiste. Un siècle qu’une histoire commune s’écrit entre les militant·e·s, les élu·e·s communistes et la population Ivryenne, une histoire forgée dans des combats communs de la lutte antiraciste et anticolonialiste, de l’accueil de nouveaux Ivryen·e·s d’où qu’ils ou elles viennent, et dans l’engagement politique ou associatif de centaines de citoyen·ne·s qui font aujourd’hui d’Ivry une ville populaire et métissée, où chacun·e trouve une place.
Cette histoire Ivryenne, évidemment, n’est pas sans à-coups. A l’aube des années 1980, dans une période crise économique, et de repli identitaire de notre Parti face au reste de la gauche, nous avons, nous aussi, commis des erreurs politiques. Plusieurs années durant, face à la dégradation concomitante de la situation sociale des Ivryen.ne·s et de celle du budget communal, la Municipalité a adopté, sous l’impulsion des communistes, une politique de « quotas » suivant l’origine supposée des jeunes Ivryen·ne·s souhaitant notamment profiter des centres de vacances municipaux. Cette décision politique, si elle n’a pas perduré, et date d’il y maintenant plus de 40 ans, laisse encore un souvenir douloureux chez nombre de communistes et d’Ivryen·ne·s progressistes. Et si « PCF is back », comme tu le déclarais en devenant secrétaire national, il ne doit surtout pas l’être sur des dérives politiques de ce genre.
Car aujourd’hui, un nouveau combat est devant nous : celui contre l’extrême-droite, péril mortel pour tout ce que je décris ici. Et je suis persuadé que si rien n’est écrit, il est indispensable de rechercher l’unité de la gauche de transformation sociale, et de tout·e·s les citoyen·ne·s susceptibles de se mobiliser pour remporter cette lutte. En tant que secrétaire national du PCF, tu as une responsabilité particulière pour que nous y parvenions.
Fraternellement,
Philippe Bouyssou, maire d’Ivry-sur-Seine, membre du PCF
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