Je vais plaider ici pour la construction d’un rassemblement de toutes les forces de gauche pour mener un combat commun contre la droite et l’extrême droite, jusque dans les urnes.
Ce rassemblement n’a de sens que s’il associe des forces partisanes (partis et mouvements politiques) et d’autres qui ne le sont pas (syndicats et associations).
Les organisations politiques de l’actuel Nouveau front populaire (NFP) : LFI, PCF, Les Écologistes, PS, Place publique, Génération·s, la Gauche républicaine et socialiste, NPA la Gauche écosocialiste ont vocation à être dans ce rassemblement. De sorte que seraient associées des organisations politiques qui, à des degrés divers, sont pour une société débarrassée du capitalisme (Les contours de cette société non capitaliste varient d’une composante à l’autre) et d’autres organisations qui s’en tiennent à vouloir remédier à ses méfaits les plus graves.
Ce rassemblement ne serait donc pas originellement anti capitaliste. C’est dans l’exercice du combat politique commun qu’il trouverait une forme plus élaborée dont les contours ne sont pas prévisibles. Beaucoup dépendra de sa dynamique interne, en particulier de sa capacité à résoudre démocratiquement ses conflits (voir paragraphe 4). Car des conflits et des divergences, il en surgira inéluctablement, puisque se trouveraient associées des gauches de rupture et d’autres d’accommodement. Au surplus, parce que chez les gauches de rupture, le tropisme révolutionnaire y est plus ou mois marqué.
A ces contradictions au sein des forces partisanes, viendraient s’ajouter celles résultant de leur association avec des forces non partisanes.
1- L’ARGUTIE DE L’INDÉPENDANCE DES SYNDICATS
Je pense que la place des syndicats est particulière. Je ne prend en considération que les syndicats de transformation sociale, ceux qui, plus ou moins explicitement, rejette le capitalisme : CGT, FSU, Solidaires. Confédération paysanne, CNT. Je ne conteste pas le rôle des syndicats réformistes (CFDT, FO, UNSA, CGC, CFTC) mais ils ne me semblent pas concernés par la problématique dont je traite.
L’argument qui est régulièrement invoqué pour s’opposer à un rapprochement entre les syndicats-et les partis politiques est le risque d’instrumentalisation des syndicats par les autres. On nous ressort invariablement la Charte d’Amiens de 1906, qui poserait le principe inviolable de l’indépendance des syndicats à l’égard des partis, et par extrapolation, la neutralité à l’endroit de la chose politique. Mais, cette interprétation est incorrecte. La Charte énonce la « double besogne quotidienne et d’avenir » qui vise à articuler les objectifs revendicatifs, tout en œuvrant à la transformation non capitaliste de la société. C’est là le point crucial : le combat pour la transformation sociale serait l’apanage exclusif des syndicats. Voilà qui donne tout son sens, au dogme de l’indépendance. La Charte affirme non pas l’indépendance mais l’autonomie politique des syndicats en faisant délibérément abstraction du rôle des partis politiques. De sorte qu’en occultant les partis, elle rejette la conquête du pouvoir par les urnes au profit d’une conquête par la grève générale. Cela fait longtemps que les principales centrales syndicales, réformistes ou pas, (peut être à l’exception des courants anarchistes) ont renoncé à cette illusion. Du coup, pour se défendre du risque de l’instrumentalisation, ne reste donc plus que l’argument de l’indépendance.
2- LA QUESTION DE L’INSTRUMENTALISATION DES SYNDICATS
Il faut ordre le cou à cette accusation qui voudrait que les syndicats ont été instrumentalisés, contre leur gré, par les partis politiques. En d’autres termes, des manœuvres plus ou moins occultes auraient été utilisés par les partis, faisant des syndicats leur courroie de transmission. C’est bien trop simpliste. Cela aurait été particulièrement le cas d’une CGT inféodée au PCF. Pas question de nier les rapports étroits entre ces deux organisations, mais ces rapports n’ont pas été unilatéraux visant à la subordination de la CGT au PCF. Je crois qu’il faut parler de symbiose. De sorte qu’en diverses occasions ont ne sait plus si c’est la direction du PCF qui a prévalu sur celle de la CGT, ou le contraire. De tout façon, dès 1920, les rapports entre ces deux organisations révolutionnaires étaient régis par les 21 conditions imposées par l’Internationale communiste (1919-1943) suite à la victoire bolchevique de 1917 en Russie, pour qu’un parti soit admis en son sein. Or, la 9ème condition stipulait que les « syndicats sont soumis au parti ». Cette soumission, devenue avec le temps réciprocité, s’est fait sentir jusqu’à la fin des année 80. Ce cordon ombilical est désormais coupé, ce qui ne signifie pas qu’ils ne puissent pas y avoir des luttes internes auxquelles des syndiqués ou des groupes de syndiqués prennent part en tant que communistes (inspirés, possiblement par cercles dirigeants du PCF). En ce qui concerne les liens entre le PS et les syndicats réformistes, spécialement CFDT, FO et ce qui fut la FEN, des historiens s’y sont intéressés, mais j’en sais trop peu pour en préciser les ressorts.
Si encore aujourd’hui le risque d’instrumentation ne sont pas à exclure, les conditions ont complètement changé. PS et PCF n’ont plus les moyens d’en faire usage et les syndicats ont beaucoup travaillé sur les mécanismes qui ont joué historiquement et sont en mesure de s’en prémunir.
3- LA PLACE CHARNIÈRE DES SYNDICATS DANS LE RASSEMBLEMENT
Les syndicats sont les plus à même d’être des médiateurs entre les organisations partisanes et les associations. On sait que ces dernières, bien plus que les syndicats, craignent d’être utilisées par tel ou tel parti pour servir ses intérêts de boutique. Les associations, surtout les plus modestes, ont un fonctionnement moins contraint que les syndicats et sont donc plus propices à l’entrisme politique et à leur instrumentalisation. La présence active des syndicats serait un élément rassurant et « protecteur ».
Deux autres effets bénéfique de cette présence syndicale sont prévisibles 1- Les rapports privilégiés entre associations et syndicats, rendent ces derniers plus sensibles à des approches intersectionnelles familières à de nombreuses associations. De plus en plus nombreuses sont celles qui considèrent que les dominations au travail et les dominations de genre et de racisation/racialisation interagissent, et que leur hiérarchisation affaiblit le combat commun. Une prise en compte politique des injustices et des inégalités de toutes sortes, auxquelles est particulièrement sensible une partie de la jeunesse ne peut que favoriser sa compréhension de la domination de classe. Ce rapprochement syndicats-associations devrait aussi favoriser une meilleure appréciation des enjeux environnementaux et climatiques, en incitant les syndicats, la CGT étant la première concernée, à reconsidérer certaines de leurs positions concernant des secteurs industriels polluants (énergies fossiles, pétrochimie, nucléaire..), obnubilés qu’ils sont par la défense de l’emploi en l’état. Mais, réciproquement, les associations seraient rendues plus attentives aux questions sociales renforçant ainsi l’exigence de justice, à la fois sociale et climatique, telle qu’elle s’était exprimée par exemple en mai 2020 dans le collectif « plus jamais ça » (Il est significatif que l’engagement initial de la CGT dans ce collectif ait été rejeté lors de son congrès confédéral de 2023) 2- ces avancées réciproques entre syndicats et associations ne pourraient que se répercuter au niveau des organisations politiques trop souvent focalisées sur des questions institutionnelles et sur les élections. 3- enfin, et ce ne serait pas le moindre impact de la présence des syndicats dans un rassemblement, c’est que, malgré leur affaiblissement, ils restent les seules organisations, spécialement la CGT, qui disposent d’un ancrage significatif dans les classes populaires, ce qui est de moins en moins le cas des partis politiques dont les élu.es sont de plus en plus professionnalisé.es.
4 – SURMONTER LES CONFLITS AU SEIN DU RASSEMBLEMENT
Ainsi que je l’ai écrit supra, des conflits il y en aura obligatoirement. Pour qu’elles raisons les organisations politiques, je ne m’intéresse qu’à celles de gauche, ont-elles-tendance à régler leurs désaccords de fond en avançant des faux prétextes ? C’est qu’il s’agit de faire prévaloir sa position en déstabilisant les composantes qui ne les partageraient pas. Pour ce faire, les réseaux et les médias sont appelés à la rescousse. La déloyauté et la suspicion s’installent, compromettant la nécessaire collaboration (qui ne doit pas empêcher l’expression des désaccords).. Ces comportements jettent le discrédit sur l’ensemble des organisations et désespèrent les milieux militants, et au-delà, celles et ceux qui comptent sur elles pour relayer leurs combats. Plus grave encore, ces comportement font douter des convictions démocratiques des organisations de gauche et de leur capacité de gouverner ensemble.
Seule la méthode démocratique devrait permettre de sortir de cet impasse. Lorsqu’il y a litige, c’est aux citoyen.nes qui soutiennent le rassemblement de choisir entre les diverses options contradictoires. Il revient aux organisations composant le rassemblement d’inventer des méthodes et des procédures délibératives pour faire ces choix et de les soumettre au préalable aux divers collectifs militants et citoyens.
5- LE FRONT POPULAIRE, UNIQUE EXEMPLE DE RASSEMBLEMENT
A ma connaissance le seul exemple de rassemblement de forces partisanes et non partisanes est celui qui s’est formé au printemps 35 en vue des élections législatives du printemps 36. Cela avait commencé par la création d’une structure dénommée « Rassemblement populaire », regroupant une centaine d’organisations syndicales, politiques et associatives de gauche. Elle s’était dotée d’un programme commun en vue des élections législatives d’avril-mai 36. Voici ce qu’en dit l’historien Serge Wolikow dans son ouvrage « 1936, le monde du Front populaire », (2016, cherche midi) : » Il s’y trouvait réunis des organisations, majoritairement non partisanes, dont le nombre et la variété témoignaient d’une rencontre entre les attentes syndicales ou culturelles spécifiques et des propositions politiques générales portées principalement par les partis politiques de gauche. la signature, au début de 1936, d’un programme électoral commun à toutes ces organisations symbolisa d’abord la consolidation de ce rassemblement insolite ». Un « rassemblement insolite » qui n’a eu d’équivalent, ni en 45, certainement pas en 68, ni dans les années 70 au moment du Programme commun. Au cours de ces périodes, et encore après, des syndicats et des associations ont pu appeler à voter pour des candidats présentés par une coalition de partis politiques de gauche, à soutenir leur programme, mais ils non pas pris part directement à une séquence électorale en son entier.
6- JUIN-JUILLET 2024 : LA FRILEUSE RÉACTION DES ORGANISATIONS NON PARTISANES
Cela a été le cas pour les élections de juin-juillet 2024. On a pu dire que des syndicats, spécialement la CGT, et des associations s’étaient engagés plus avant à cette occasion. C’est totalement surfait. « Face à l’extrême droite, le front populaire », tel était le titre de la première déclaration de la CGT publiée le 10 juin. Ce titre ne tenait pas ses promesses. La CGT se contentait de déclarer que « l’unité de la gauche est indispensable ». « De la gauche », c’est-à-dire des partis de gauche. Dans la foulée, l’intersyndicale avait appelé (déclaration du 11 juin) à « un sursaut démocratique et social », sans autre indication. Un mois auparavant, la LDH, au cours de son congrès de mai 2024, avait adopté une résolution appelant les associations et les syndicats « qui ne se résignent pas à l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite »à se rassembler pour « peser maintenant sur les forces politiques » de gauche (c’est moi qui précise) On notera bien qu’il ne s’agissait que de « peser ». 70 organisations avaient répondu à cet appel parmi lesquelles :les syndicats CGT, CFDT, Solidaires, FSU, Confédération paysanne, Syndicat des avocats de France (SAF), Syndicat de la magistrature (SM), et les associations, Attac, Greenpeace, Oxfam ou la Cimade. C’était un début qui permettait d’espérer que pour les élections de juin-juillet l’engagement de ces organisations non partisanes se ferait plus conséquent. Il n’en a rien été. Le 12 juin, la LDH et les organisations susnommées avaient adopté une déclaration ne laissant espérer à aucun rapprochement avec les organisations partisanes du NFP.
Selon moi, c’est le refus des organisations non partisanes de gauche de s’impliquer dans la compétition électorale contre la droite et l’extrême droite qui pèse lourdement et conduit dans l’impasse le NFP, dès lors qu’il est uniquement constitué de partis.
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